Ce soir là, comme tous les autres, il était sorti sous sa forme humaine.  Après s'être assuré que Caleb et Shanon dormaient bel et bien, il avait quitté le lit de l'enfant et s'était dirigé vers la chambre de son maître, et avait pris quelques vêtements qu'il enfila avant de sortir. Il n'avait pas le moindre sou, mais c'était tout de même plaisant comme balades nocturnes. Toutefois, une fois loin de la maison, il ne tardait pas à reprendre sa forme de chien, rapidement ennuyé par l'ambiance des bars, trop bruyants et achalandés à son goût. C'est donc dans une ruelle qu'il s'était caché pour redevenir un chien. Il reprit soigneusement les vêtements de son maître dans sa gueule, tout en douceur en ne tâchant de ne rien laisser derrière et entama le chemin du retour.

Il marcha un long moment, avant de réaliser que les rues et leurs odeurs ne lui disaient plus rien. Un peu affolé il pressa le pas jusqu'à se rendre dans une autre ruelle. Demander des directions lui semblait le meilleur des plans, surtout qu'il ne pourrait rien demander sous la forme qu'il occupait présentement. Il s'installa derrière une benne à ordure, y déposa les vêtement et se sentit rapidement grandir, alors qu'il recommençait à voir toutes sortes de nouvelles teintes, il cligna des yeux un moment dans l'obscurité avant de se pencher pour au moins enfiler des sous-vêtements, sans prendre le temps d'enlever son collier et sa médaille. Il redressa la tête par-dessus la poubelle pour voir si quelqu'un approchait et glapit en voyant la personne s'engager dans la ruelle. Il se pencha pour essayer d'enfiler ses pantalons le plus rapidement possible. Toutefois, à cause du stress, il enfila la mauvaise jambe et quand il s'étira pour prendre le t-shirt qui traînait et il trébucha et s'affala sur le sol de la ruelle de tout son long, toujours en sous-vêtements. Il leva les yeux vers l'inconnu, en lui adressant un grand sourire à défaut de savoir comment réagir correctement.

Tous crachaient au visage des manifestants, mais qu'on se le dise.... c'est à cause des policiers que les choses dégénéraient toujours. Si la cavalerie ne s'était pas présentée sur les lieux pour interrompre leur marche, armés de leurs portes-voix et des morceaux de fer avec lesquels ils écharpaient la bouche de leurs chevaux, les choses n'auraient jamais tournés ainsi. D'abord, personne, irrité par leur simple présence, n'aurait eut l'idée de se jeter au devant d'eux pour se mettre à scander haut et fort le slogan ''LIBÉREZ LES CHEVAUX'', entraînant dans son sillon d'autres voix, par dizaine. Puis, personne n'aurait ensuite cru bon d'encercler l'un des agents, et personne, finalement, n'aurait jeté de cavalier au sol pour ensuite s'enfuir en courant, une main bien agrippée à la bride de l'animal.

Mais voilà, c'était arrivé, et à présent, avouons-le, il se trouvait plutôt stupide. Qu'allait-il faire d'un cheval au beau milieu d'une manifestation qui prenait des allures de guerre civile? Déjà, s'éloigner des lieux.... Il s'élança au pas de course à travers la foule, traînant derrière lui le cheval, qui marquait le rythme du claquement de ses fers sur le bitume, et, dès qu'il le put, il s'enfonça dans une ruelle au hasard. En sentant le cheval tirer sur son mors, il tourna la tête vers ce dernier, et se mit à gronder :

« Non, non, t'arrête pas maintenant! .. »

L'animal se remit en marche, fit quelques pas, puis s'arrêta à nouveau. Cette fois, cependant, il arqua l'encolure et tendit les oreilles droit devant lui : ses naseaux se gonflèrent, et un long ronflement en sortit. Arturo détourna aussitôt son attention de lui, question de s'intéresser à ce qui l'intriguait autant, et demeura bête en apercevant le postérieur presque exposé de ce qu'il prit pour un saoulons évaché au beau milieu de la ruelle. D'ordinaire, il ne portait pas trop attention à ces gens, mais voilà, celui-là lui bloquait le chemin, et son seul échappatoire; faire demi-tour n'était plus une option, considérant les bruits sourds qui s'étaient mis à retentir dans son dos : des bombes assourdissantes, fort probablement... auxquelles certains manifestants répondaient peut-être à coup de cocktail Molotov.. Autant dire qu'il gagnerait à quitter les lieux au plus vite. Sauf que voilà, il était coincé entre un cheval et une paire de fesses. C'était bien lui, ça...!

En réponse à la grimace que venait de faire l'étrange homme, un féroce renâclement s'échappa des naseaux du cheval. Le son rauque et alarmant lui donna la chair de poule : il ne se souvenait pas de l'avoir déjà entendu auparavant, mais il savait d'instinct ce qu'il signifiait. Danger dans les parages. Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre qu'il ferait peut-être mieux de se méfier davantage de cet homme. Et, comme de fait, au moment ou il décida de se reculer un peu, l'inconnu l'attrapa par le poignet.

Il sentit comme une décharge électrique lui traverser les doigts, remonter tout le long de son bras, engourdir son épaule : tous ses muscles se crispèrent, et son cœur bondit dans sa poitrine. Il recula rapidement, tira sur la main qui le retenait, et laissa même échapper un geignement, sous le coup de l'effort. Mais, rien à faire : ces longs doigts le retenaient comme une cage! Il tira, tira encore, en se cramponnant à la bride du cheval de sa main libre. Impatient, l'animal secouait sa tête de bas et haut et ouvrait grand la bouche lorsqu'Arturo tirait sur son mors, mais l'hirondelle ne remarqua rien. Il continuait de se débattre, violemment, alors qu'il sentait la panique l'envahir : non, il n'allait pas les laisser l'enfermer aussi facilement!

Malgré la scène en cours droit devant lui, le cheval orienta ses oreilles vers l'arrière; en percevant des bruits de pas, il tourna son œil, et ses naseaux vrombirent doucement lorsqu'il reconnut l'uniforme familier des policiers qui venaient de s’engouffrer dans l'allée.