Un coup de feu.

Le souffle court, Kaos avait redressé son dos d'un seul coup, comme s'il avait été propulsé par des ressorts. Il porta ses mains en visière pour furtivement scanner le quartier du haut de son promontoire, à la recherche de la source du bruit.

Ses longues années d'expérience avec sa forme humaine lui permettait aussi de conserver certains de ses attributs canins, notamment son ouïe ( et non son odorat, conserver son odorat dans un quartier pareil était loin d'être une bonne idée! ). Il dut en revanche plisser les yeux pour voir plus attentivement. Comme il ne discernait rien hors de l'ordinaire, il décida de changer de méthode. Lentement, sa respiration s'approfondit, et une mince vapeur commença à s'échapper de ses pores. Kaos plissa de nouveau les yeux, avec plus de force cette fois: en concentrant son aura dans sa cornée, tout lui devint soudain plus net, comme si on venait de nettoyer la lentille de l'objectif d'une caméra. La lumière et les formes de la ville s'évanouirent dans l'ombre, ne lui laissant discerner plus que les auras. Un petit groupe coloré se dirigeait vers l'une des ruelles menant à l'Underdog. Kaos tourna sa tête: il cilla en direction d'un aura rouge. Son coeur rata un battement: le groupe se dirigeait à folle hâte en direction de cette pauvre jeune femme!

Il dilata de nouveau ses pupilles afin de permettre à la lumière de revenir, et, du haut du toit de cet appartement abandonné où il avait passé l'après-midi, Kaos se laissa tomber discrètement à l'arrière. À peine la semelle de sa chaussure toucha le sol qu'il détala. Son ombre battait contre le derrière de brique des autres appartements. Elle frétilla, et s'étira, comme de son propre chef. L'échange fut bref, constellé du martèlement que faisaient ses chaussures contre le béton des ruelles.
« - Qu'est-ce que tu fais.
- Un gang est en train de s'approcher d'une innocente!
- Oh. Donc tu joues les héros. Kaos leva un sourire en coin.
- Si j'peux empêcher un meurtre, j'le ferai, oui.
- Tu perds ton temps.
- ... On verra bien, il grommela, les dents serrés. »

Il se freina brièvement pour bifurquer d'un seul coup vers la droite, en empruntant un raccourci. Certes il lui aurait été plus aisé de simplement courir sous forme animale, il se plaisait à se vanter de l'équilibre qu'il avait acquiert avec les années sur cette forme bipède. Sa course effrénée se transforma peu à peu en jogging. Du coin de l'oeil, il aperçut la bande - comptant au moins cinq voyous à l'air excité qui marchaient parallèlement à sa ruelle. L'un d'eux s'était arrêté de marcher pour tourner brusquement sa tête, mais Kaos avait déjà disparu, filant à bon train pour protéger l'innocente. Il ne s'aperçut pas que deux d'entre eux avaient quitté le groupe pour le suivre. Enfin il aperçut la jeune femme à la longue chevelure. Il bifurqua en sa direction, les mains sur les genoux, le dos voûté, tentant de reprendre son souffle.
- Haf... haf... vous devriez... Partir d'ici... haf hraf... il lâcha à bout d'haleine, les cheveux collés à sa nuque, le front perlant de sueur. Il se l'essuya du revers de la manche, se relevant, grimaçant.
- Whoo... j'aurais du jogger avant... et..., sprinter après... ohh mes os...
Il porta ses mains à ses lombaires, s'étirant comme si de rien n'était. C'est là qu'il entendit les pas de ceux qui avaient suivi sa trace. Ses pupilles se révulsèrent avec effroi, et le coup parti comme une balle. Dans la panique, l'un d'eux venait de le tirer dans le bras gauche, perçant les tissus de sa veste, de son t-shirt, de sa chair.
—Gckk!!!!
Son air devint livide en constatant que du sang s'échappait de sa plaie. Et qui disait sang, disait... oh non. Pris de panique, il tourna vivement sa tête pour en voir où était la jeune femme, constatant que de l'autre côté venaient de se pointer le reste du groupe, à l'air toujours peu commode.

Ils étaient faits comme des rats: du côté Nord s'avançaient trois hommes, interloqués par le coup de feu qui avait percé à même la chair de l'un des deux crétins coincés au milieu de la ruelle, et de la sortie Sud s'avançaient le fautif et son comparse qui s'étaient séparés du groupe afin de les piéger par-derrière. Kaos se laissa choir de l'épaule sur la clôture qui bordait l'allée, le souffle court. Quant à l'étrangère (son alliée, en l’occurrence) celle-ci avait cherché à se sauver à son tour, pour seulement se faire cueillir par ce qui semblait être le chef du gang. D'un tour de bras solide il tracta la jeune femme contre son torse, et de son autre main, dégota un couteau. Il le pointa à sa gorge, sous les yeux d'un Kaos désemparé. Qu'est-ce que ça allait bien, se permit-il de songer sur un sourire, les commissures frétillantes d'impuissance.

Outre la douleur, Kaos pouvait presque entendre les ricanements de son méprisant compagnon à huit pattes. Il le sentait folâtrer autour, comme s'il se délectait de son malheur. Kaos tressauta. Son malheur! Il baissa rapidement les yeux pour constater l'ampleur des dégâts, réalisant que de sa plaie commençait à s'extirper, lentement, très lentement, d'épais filons de liquide noir. Il fut saisi d'un haut le coeur, portant son autre main à sa bouche. Il n'y avait pas de temps à perdre. Dans un geste inattendu, il empoigna le col de ses propres vêtements. La suite se déroula l'espace d'un clin d'oeil, ou presque: après avoir expié l'air de ses poumons d'un seul coup, il écrasa sa semelle dans le sol, fonçant à toute hâte en direction de l'être qui tenait le couteau.

Le temps fut comme suspendu. Ses vêtements s'évaporèrent d'un seul coup et son apparence humaine disparut dans un éclat opalescent. De la lumière bondit la forme d'un quadrupède à la fourrure immaculée. Ses griffes cliquetaient en rythme avec sa course. Un grognement, un aboiement, et on le vit s'arracher du sol dans un puissant bond, refermant ses crocs autour du cou de l'humain. Dans son élan, il tira l'homme dans sa hâte et lui faucha son équilibre, le faisant s'effondrer au sol. La chute fut brève et sèche, l’assommant d'un seul coup. Quelques gouttelettes de sang perlèrent au sol, suivant l'arc décrit par le saut.

Il ne s'agissait pas du sang de l'humain.

Paralysés par la confusion, les deux hommes de main qui entouraient la jeune femme se contentaient de regarder la suite, éberlués, incapables de concevoir la chose. Ils n'en eurent d'ailleurs pas le temps. S'abattirent sur eux - à leur insu, bien sûr - deux griffes d'aura qui sembla les terrasser d'un seul coup. En réalité, les griffes avaient simplement stimulé leurs nerfs sensitifs, leur faisant simuler une douleur omniprésente. Persuadés d'être en train de brûler, tout deux s'effondrèrent au sol. Le loup, visiblement pantelant, avait redressé ses oreilles, levé la tête vers l'humaine. Il tituba, s'appuyant sur une seule patte, arquant la nuque. On pouvait voir une plaie visible à sa patte droite, qu'il essayait de dissimuler de la tête. Il la léchait frénétiquement, comme s'il voulait cherchait à empêcher le sang d'y sortir.

La femme était sauve. Il ne restait de valides que deux truands, disposés à la sortie Sud, le dos rond, les yeux écarquillés d'incompréhension. L'un d'eux se décida à agir. Comme il était toujours armé, il leva d'une main hésitante son revolver, braquant le canon en direction du loup blessé. Ses doigts tremblotaient et de la sueur perlait sur son front, mais pour lui, c'était la bonne chose à faire. Le loup se crispa en réalisant qu'il serait, dans quelques secondes, la proie de cet homme...

Toute son attention était centré sur le fusil. Si cette balle lui traversait la boîte crânienne - qu'elle s'y logeait ou non était facultatif - Kaos savait que son symbiote s'extirperait de ses plaies béantes. À l'aide de sa salive - et du peu d'eau contenue dans celle-ci - il arrivait à empêcher au trop-plein de liquide supureux de s'échapper. Une gouttelette parvint tout de même à toucher le sol, creusant un minuscule trou dans le béton en émettant un petit grésillement. Mais à peine la vapeur chimique s'évapora que la jeune femme se précipita sur lui pour le soulever du sol dans ses bras, le dos penché, ses yeux aussi rivés sur l'arme qui leur était pointée.

Sans tergiverser plus longtemps toutefois, elle partit comme une balle, dans une bourrasque qui donna la nausée au loup. De l'aura, constata-t-il en sentant l'énergie presque battre sur sa fourrure. L'homme, décontenancée de voir sa proie ( ses proies? ) partir aussi vite appuya enfin sur la détente, tirant par deux fois. Deux coups assourdissants, deux balles perdues. Il retomba à genoux, les mains tremblotantes, encore incertain de la véracité de tout ce qui venait de se dérouler. Ses deux comparses étaient au loin, allongés, se tordant de douleur, et leur chef était assommé contre le sol, sur le dos. Trop concentré à l'idée de retrouver sa respiration, il relâcha l'arme fumante, permettant à la femme- et son colis tout en fourrure- de s'esquiver en douce en bifurquant dans une autre ruelle.

Kaos se mit soudain à gesticuler.
- A-Ah!! il fit en constatant que sa plaie commençait, bien que lentement, à s'agrandir.
- Non, une minute, stop! Il essaya de tourner sa tête pour la regarder dans les yeux
- Ils n'ont pas suivi, il lui dit, remuant des oreilles, attentif aux sons environnants. Son museau se tordit de douleur et il referma la mâchoire, relâchant un court râle mêlé à un grognement. Ses deux oreilles se ourlèrent ensuite dans sa nuque, et il relâcha un petit gémissement. Il reprit après une courte inspiration nerveuse.
-Ils n'ont pas suivi. Tu peux... arrêter de courir un peu? J'veux pas—... il s'interrompit brusquement, son malaise envahissant ses pensées l'espace de quelques secondes, éberluant sa vision.

Lorsqu'elle manqua pied, il sentit son coeur au bord des lèvres - au bord de sa membrane muqueuse? - l'éberluer de nouveau. Heureusement, ce petit imprévu fit réaliser à la jeune femme qu'aller trop vite risquait de les mettre en danger tous les deux, ce qui la poussa à troquer son sprint pour un jogging léger. Malgré son équilibre précaire, l'étrangère - et sa sauveuse, dans le même élan - arrivait à maintenir sa course plus ou moins étroite. Déjà loin - à environ trois, quatre voire cinq intersections plus loin - elle s'arrêta enfin pour le déposer au sol. Loin d'être très flexible, Kaos rua le vide de ses pattes arrières, tâtant le sol des coussinets de ses pattes-avant, à la recherche d'un appui. Il s'affala sans grâce sur le flanc, se couchant sur le ventre, cherchant à stabiliser sa position. Sa sauveuse lui fit enfin entendre sa voix.

- C'est grave?....
Cette question, cette simple question lui fit confirmer son doute: cette femme était bel et bien un animal. Elle n'avait pas mal réagi lorsqu'il avait pris sa forme de loup, lorsqu'il s'était adressé à elle sous ladite forme et même lorsqu'il s'était mis à gesticuler. Elle l'avait même, dans un réflexe instinctif probablement, prit dans ses bras afin de l'éloigner du mal - c'est à dire de l'homme au fusil. Parlons en de l'homme au fusil. Lorsqu'il l'avait dégoté, elle n'avait pas réagi, comme si elle ignorait de quoi il s'agissait en premier lieu. Tout autre individu dans la ville savait ce qu'était une arme, et les dangers que cela impliquait. Après le premier coup de feu, elle avait toutefois vite compris qu'il s'agissait de quelque chose à éviter à tout prix. Il se décida enfin à répondre, sa courte analyse faite.
- ... hafh... Imagine euh, une pierre de feu traverser ton corps, il lui répondit, les oreilles basses, les babines retroussées dans une grimace anxieuse. Il se mit à gruger son épaule de ses incisives.
- Putain, j'pense qu'elle y est encore, il maugréa à mi-voix. Son ombre au dessous avait tourné la tête. Elle nargua son hôte, sa voix semblant venir de nulle-part.
- Tick... tock... tick... tock...
Kaos se raidit, irrité.
- Ah— merde. Il regarda de nouveau sa blessure. Ses pupilles se dilatèrent.
Merde merde merde... Ça peut devenir grave. Les tissus bordant sa plaie semblaient simplement s'effacer, agrandissant sa blessure, la creusant. Ça se propage bordel, il marmotta, peu amène. Ses oreilles se dressèrent, comme par déclic.
- Écoute... aïe, désolé de... de monopoliser ton aide, mais tu sais où je pourrais trouver de l'eau—? il constata avec un certain amusement à quel point il s'était coulé du vouvoiement au tutoiement. Une fusillade était décidément un excellent brise-glace, sans vouloir jouer sur les mots!...

• De ses grand yeux glacés, elle l'avait regardé s'affaler au sol, et malgré son inquiétude quand à l'état de l'inconnu, Alexa n'osa s'approcher de nouveau, son regard rivé sur l'étrange plaie, un peu décontenancée. On lui avais parlé des armes, mais elle ignorait quel effet elles faisaient lorsqu'on les utilisait. Maintenant. SunShine le savait, et elle ne comptait pas s'en approcher de pleins gré, quelque peu traumatisée par la démonstration de plus tôt. Lentement, SunShine s'était décidée à s'accroupir, afin d'être à la hauteur de son nouveau protégé.
  
  - ... hafh... Imagine euh, une pierre de feu traverser ton corps, Putain, j'pense qu'elle y est encore,
  
  Elle sourcilla, ne sachant trop comment l'interpréter, les seules blessures qu'elle avait connues étaient dues à de mauvaises chutes ou bien des muscles étirés, autrement, ses propriétaires faisaient tout pour éviter qu'elle ne se blesse.
  
  - Ah— merde.
  
  Alexa releva les yeux, les rivant dans ceux du carnivore, interloquée.
  
  - Merde merde merde... Ça peut devenir grave.
  
  Elle se releva d'un bon, comme si ses jambes étaient de ressort, déjà prête à détaler si le coeur lui en disait. La jeune femme haussa ses sourcils, porta son attention autours, s'assurant qu'on ne les avaient toujours pas rejoint.
  
  - Écoute... aïe, désolé de... de monopoliser ton aide, mais tu sais où je pourrais trouver de l'eau—?
  
  - De l'eau? Répéta la jument, un peu dubitative - bien sur elle savait ce que c'était - mais elle n'était pas certaine de l'utilité, cependant, Alexa ne posa pas de question, s'approchant du loup blanc, fixant ses pupille clairs dans les siennes.
  
  - À l'Underdog, je m'y rendait, il y a de l'eau là bas.
  
  Répondit-elle avec un air de marbre, bien que ses yeux semblait plutôt témoigner la peur qu'elle avait de s'approcher du carnivore, mais elle n'en fit pas plus, attrapant le loup comme un agneau une nouvelle fois, et une fois bien installé, Alexa repris sa course dans un jogging rapide, espérant seulement qu'il n'y aurait pas trop de gens au bar.

Comme sa voix s'éreinta, le loup avait refermé durement ses paupières, recherchant son souffle. C'est alors que la jeune femme répéta ses mots, lui avisant qu'elle l'avait entendu.
- De l'eau? s'interrogea-t-elle, sur une voix pourtant mal-assurée - sans doute obnubilée par l'état de sa blessure qui semblait croître à petit feu. En effet, il avait besoin d'eau: un être moyen se serait peut-être affolé et se serait empressé de demander des soins, une ambulance voire l'accès à l'hôpital le plus près. Kaos, lui, ne demandait que de l'eau. C'est donc sans surprise que l'étrangère, ou plutôt, sa sauveuse étrange le dévisagea, comme si elle cherchait à lire ses intentions en le fixant dans les yeux. Il y eut un déclic: il s'agissait peut-être d'un herbivore ou d'un petit animal qui craignait qu'il s'agisse d'un prédateur. Ça collait.
- À l'Underdog, répondit-elle enfin, sortant de sa torpeur. Elle poursuivit. Je m'y rendais, il y a de l'eau là bas. Malgré son débit saccadé, Kaos en compris le sens. De l'eau, c'était tout ce qu'il voulait. D'un mouvement de la patte, son aura vaporeuse - toujours invisible - s'attacha à son épaule de sorte à former un garrot, empêchant le trop-plein de sang - et d'aura noire - de s'extirper. Ce geste lui arracha un soupir d'aisance Il était fin prêt à suivre la jeune femme jusqu'à cet Underdog. Il se sentit arraché du sol par les bras délicats de la femme, se laissant docilement faire après sa stupeur. Elle reprit son jogging, destination le bar. Il n'aimait pas meubler le silence de la sorte, mais c'était nécessaire de lui faire savoir qu'il était encore conscient.
- Je ne crois pas qu'il y ait un problème à m'amener là bas... Tu n'as qu'à dire que j'suis ton chien, ou une connerie du genre. Le mélange du vent et de la course sautillante faisait bringuebaler ses touffes de poils. Sa tête dodelinait dans le mouvement, lui faisant un peu perdre pied.
- Euh, ha-ha, par contre, ce serait possible de recouvrir ma, um, blessure? Elle n'est pas aussi discrète que je le pensais... En effet, la cicatrice s'était creusée sur son épaule, se ramifiant bientôt à son avant-main. Le garrot empêchait peut-être le sang de couler, mais pas les tissus de se détériorer.

Après ce court échange, elle se défit de son imperméable afin de l'y envelopper, recouvrant ainsi la plaie apparente qui continuait de se propager. Chacun se tut, l'un se concentrant à ne pas perdre du sang, l'autre à les diriger tout deux jusqu'au point d'asile. Bientôt, leur étroit encadrement d'habitations se fit remplacé par un stationnement épars, et, à quelques mètres seulement, se dressait l’établissement à l'aspect un peu sobre. Kaos eut du mal à discerner ce qui les entourait, car soudain il se fit follement véhiculer jusqu'à l'intérieur du bar. Le paysage déferla à toute hâte autour de lui. Puis, soudain, son malaise fut remplacé par un nouveau confort et envahit ses narines de toutes sortes de nouvelles effluves. Il avait étiré son cou pour s'imprégner de ces nouvelles odeurs qu'un bruit sec le fit sursauter. La porte claqua derrière eux comme pour annoncer leur arrivée.

Le Bar The Underdog, autour de 16h

Désireux de se remettre de cette série d’évènements insolites, le canidé avait dressé instinctivement la tête, cherchant à se familiariser avec l'endroit et ses composantes. Du peu qu'il put bouger dans l'imperméable, Kaos réalisa que sa situation devenait pressante: il lui fallait vite trouver de l'eau. Heureusement pour eux, l'établissement, malgré l'heure de pointe qui approchait, semblait vide: il profita du calme et du silence pour se jeter délibérément au sol, lui et le manteau, retombant maladroitement. Il se désaucissonna de sa prison de cuir en se tortillant comme un asticot, et, lorsqu'il fut libéré, tituba sur trois pattes afin de recouvrir son équilibre. Il claudiqua ensuite en direction du comptoir un peu décrépi pour se glisser au dessous, furetant des yeux à la recherche d'une cruche, d'une bouilloire, d'une bouteille ou d'un lavabo.

Il se tourna d'un bloc à la recherche de la jeune femme, et on put enfin voir l'ampleur de la propagation de sa blessure: en plus d'avoir creusé son épaule et son avant main droit ( elle semblait d'ailleurs très raide... ), les ramifications zébraient ses côtes et s'approchaient de ses flancs. Comme il était immobile, on voyait qu'il avait du mal à se tenir en équilibre, oscillant d'un côté à l'autre. On pouvait voir une sorte de poche translucide recouvrir sa longue blessure et se gorger d'un mélange de sang et de... pétrole?... La longue poche palpait, comme si elle menaçait de se cisailler.

Sa sauveuse se dirigea ensuite de l'autre côté du comptoir. Il tourna la tête vers elle et se traîna les pattes raides pour comprendre ce qu'elle faisait. En entendant le bruit de la chapelure d'eau, il se crispa d'un seul coup en relâchant un court râle, sentant la poche recouvrir sa blessure de plus en plus friable. Sa sauveuse remplit une choppe jusqu'à son rebord, la déposant au sol. Quelques gouttelettes perlèrent, signe de la fraîcheur de la chose. Il se surprit lui-même à saliver, la langue pendante.
- What now?
- Ha-ha, se contenta de lâcher le blessé, la mine faible. Ça prends qu'une seconde... De son épaule mutilée, il s'appuya contre la chope, étirant ses doigts pour se soulever contre. Puis, en arrondissant le dos à la manière d'un chat, il fit incliner la choppe sur le côté, la soulevant de sorte à rendre son équilibre précaire. En se décalant brusquement, il la fit se balancer vers lui en contrepoids, la renversant contre son corps (et le sol). La couche d'aura boursouflée se perça et se volatilisa, libérant une sorte de flot de sang mêlé à un liquide noir. À peine le mélange âpre rencontra l'eau, que tout deux semblèrent... s'effacer.

Ce ne fut pas la seule chose qui s’effaça, par ailleurs: la longue plaie qui s'était propagée sur la moitié de son corps s'effaça peu à peu, d'abord sur le flanc, serpentant à ses côtes, en passant par le dos, replaçant chaque touffe de poils comme si elles n'avaient jamais été touchée. La cicatrisation atteint ses doigts, son avant-main et enfin son épaule. Ne restait qu'un trou. La balle s'était désagrégée de l'intérieur par l'aura noire, qui s'était était sortie de son bassin, comme un lit de sa rivière. Sa chair se tissa autour du trou, puis, se fit remplacer par de la fourrure. Ne restait qu'une toute petite flaque d'eau au sol.

Kaos se mit à piaffer sur place, cherchant à noter les dégâts. Son analyse faite, il hocha la tête avant de se décaler de quelques pas de côtés.
- ...That should hold. Il ferma ses yeux, et, dans la même lueur fugace de plus tôt, son corps de loup disparut au profit d'une apparence d'homme mature, enfilant déjà une veste, comme si les vêtements s'étaient matérialisés en même temps que sa transformation. En réalité, il les avait simplement stockés dans son ombre plus tôt pour les sortir à l'instant. Sous forme humaine ( lorsqu'il n'était pas pantelant ni accroupi ), Kaos n'était pas plus grand que la jeune femme, mais semblait en bien meilleur état que cette-dernière. Sa tête se tourna instinctivement vers l'extérieur et son regard se glissa sur sa veste. Ses pupilles s'arrondirent lorsqu'il constata que la manche de sa veste était percée.
- Wh-what?! Hell no! il s'écria soudain. Il étira son bras pour regarder que le tissu était effiloché. Ses sourcils se froncèrent. You've gotta be kidding me ! This shit costs a fortune! Un rire retentit alors, et son ombre, qui se tenait au sol, se glissa soudain vers le mur, adossée à l'ombre du comptoir.
- You don't even know what a fortune is. Kaos se tourna d'un bloc vers la jeune femme, comme pour lui demander son soutien, mais il troqua vite son affolement pour un air badin et un sourire apaisé. Il voûta son dos, glissant ses mains dans ses poches.
- Merci. Pour m'avoir transporté, enveloppé et m'avoir donné de l'eau, ha-ha!...
Il regarda de nouveau sa manche, son sourire se crispant un peu. Il tressauta en réalisant qu'il avait peut-être un air trop sombre à son goût.
- Ha-ha, t'en fais pas pour ça. Je dois en avoir des dizaines. Tiens, en parlant de ça... Il retira sa veste d'une main, la tenant dans le vide: elle se dématérialisa d'un seul coup. Puis, en sortant son autre main de sa poche, il fit comme si il en enfilait une nouvelle: une nouvelle veste, identique à la première, se matérialisa alors autour de lui.
- Tu vois! il lâcha avec entrain, cherchant à lui faire partager son enthousiasme.

Kaos aimait bien échanger des plaisanteries, et de voir l'air médusé de sa sauveuse ne faisait qu'attiser son enthousiasme. Elle s'apprêtait d'ailleurs à se joindre au jeu qu'ils furent froidement interrompus par le claquement de la porte d'entrée, et l'irruption d'une nouvelle figure, qui s'empressa de leur demander, l'ai affolé.

- J'ai besoin d'aide... quelqu'un connait bien les lieux, ici? visiblement, cet être ne semblait pas dans son assiette. Sa comparse aux longs cheveux s'éloigna de lui pour aller à l'avant du comptoir, accueillant le nouveau venu avec un regard dur, comme si elle lui reprochait d'apparaître trop tôt. Dans ses yeux transparaissait sa méfiance, ce pourquoi elle lui demanda, avec prudence.
- Où voulez vous aller? elle en profita pour se pencher et ramasser l'imperméable dans lequel il avait été saucisson il y avait à peine quelques minutes plus tôt. Kaias releva la tête pour saluer le nouveau venu d'un sourire bienveillant, penchant sa tête sur le côté, l'air toujours désinvolte, maintenant ses mains dans les deux poches de sa veste carmin. Son ombre s'était contenté d'imiter ses mouvements, reprenant son statut d'ombre. Trop en montrer pour une journée pouvait lui être dangereux. Il l'avait échappé belle: il ne voulait pas qu'une telle expérience se concrétise à nouveau. Il n'osait le dire à voix haute, mais il avait encore la sensation que la brûlure de son épaule à son bras, de son torse à ses hanches, continuait de croître, dans une infinie lenteur. Heureusement, il ne risquait rien.

Bien qu'il semblait avoir entendu la voix de la jeune femme, le nouvel arrivant lorgna dans sa direction, accrochant son regard sur lui avec une telle intensité qu'il sentit presque les poils de sa barbe se hérisser. Affronter un tel regard pourtant ne l'avait jamais vraiment incommodé. Peut-être parce-qu'à force de le fixer, l'autre homme avait plissé les yeux, exposant à jour son désir de tenter de découvrir l'identité du jeune homme à la veste rouge. De toute évidence, il cherchait à le reconnaître. S'étaient-ils déjà rencontrés? Kaos ne perdit rien de sa bonne humeur, se contenta de détourner le regard vers la seule représentante de la gente féminine sur les lieux, comme s'il cherchait à pousser l'homme aux yeux affûtés à se rappeler la raison de sa présence. Il réussit.
- Mmh, pardon. fit l'autre, sortant de sa torpeur. J'ai besoin d'être au Velvet Lounge, le plus tôt possible. J'emprunte habituellement ce raccourci mais, j'ai du m'égarer. Il ajouta, leur faisant bien savoir que sa situation pressait. J'ai de très importantes responsabilités auxquelles je dois m'entretenir!
- Au Velvet Lounge? s'interrogea sa sauveuse, à voix haute. Dans le centre ville? Après avoir présenté quelques tics de nervosité, elle reprit. Je n'y suis jamais allée, désolée. se contenta-t-elle de répondre, haussant les épaules, impuissante. Dans les yeux de Kaos étincelèrent une idée. Il écouta plus attentivement la suite, se relevant presque imperceptiblement, le dos droit.
- Je peux vous mener à l'arrêt de bus au mieux, proposa sa sauveuse en guise de maigre consolation. Sa nouvelle attention dut pousser la jeune femme à tourner vers lui.
- Vous? Savez-vous où c'est?
- ...
Kaos sortit l'une de ses mains de ses poches, portant son index et son pouce à son bouc, les glissant pensivement à son menton. Son sourire s'affina, et ses yeux semblèrent pétiller de malice. Kaos reporta ses mains dans ses poches, s'installant plus confortablement, s'adossant au comptoir.
- Ha-ha... Bien sûr que je sais où c'est, il répondit alors, comme s'il soulignait l'évidence. Il sortit une main pour présenter sa paume, comme s'il présentait une offre.
- Et si je t'invitais, toi, au Velvet Lounge, en guise de remerciement pour plus tôt ? On pourait faire d'une pierre deux coups ! Son regard bifurqua vers le cuisinier, qu'il désigna d'un mouvement de tête.
- On guiderait Signore à son grande ristorante, loin du terriÎIble quartier de Roosevelt, et toi ( en tournant sa tête vers sa sauveuse ) tu pourrais te familiariser avec le centre-ville! L'Underdog n'ouvre pas avant quelques heures après tout, pourquoi ne pas profiter de ce temps pour me laisser te rendre la pareille ? Je t'en dois une, ha-ha !
Il se tourna complètement vers l'avant tout en se penchant vers l'avant, un large sourire invitant aux lèvres.
- Allez, c'est moi qui offre! ♥

Il était facile de deviner l'origine de la récalcitrante de ce nouvel individu. Il n'avait pas l'air de souhaiter demeurer dans cet établissement plus longtemps. Son geste de plus tôt exposa sa minutie et son goût à la propreté, surtout après avoir tiré un air de dédain en observant la poussière sur son doigt. Kaos ignorait que cet homme fut le maître chef du Velvet Lounge, mais comme ce-dernier semblait vouloir y aller, c'est sans préambule qu'il les invita tout les deux.

- Très bien, acquiesça l'autre, l'air encore un peu revêche. Alors qu'est-ce qu'on attend?
- Signorina, bien sûr, répondit Kaos en lorgnant des yeux vers les pieds de la jeune femme, qui tressauta de suite.
- Ah! Une minute! s'exclama-t-elle brièvement en réalisant qu'il insinuait qu'elle était toujours dénuée de ses escarpins. Elle se précipita derrière une porte près du comptoir - sans doute celle des employées -, délaissant les deux hommes quelques instants avant de surgir à nouveau, chaussée d'une paire de bottes de rechange, partageant la même qualité que ses chausses de marques de plus tôt. Puis, elle lui indiqua la porte. Kaos se redressa avec un peu plus de conviction, clopinant de bon train à la prote, intimant leur nouveau comparse de les accompagner. Des présentations étaient de mise. Comme il se trouvait plus près de leur agneau perdu, il tourna sa tête vers lui.
- Afin de briser la glace, je propose qu'on se présente. Il lui dit en lui donnant un petit coup de coude complice. Il se pencha un peu, la tête penchée sur un sourire dénué de malice, un air enjoué.
- Moi, c'est Kaias Holster, et vous Signore ?